Contrepoints est une œuvre générative qui joue avec les algorithmes d’intelligence artificielle à rebours de leur usage industriel, et qui nous invite à faire l’expérience active de l’infinie étrangeté de nos corps et de nos langues. Elle est déployée en permanence en ligne, mais aussi de manière temporaire sous la forme d'une installation comprenant 7 écrans et pouvant être activée par une performance («Avers»). Elle possède aussi un envers théorique qui propose une mise en perspective historique invitant à dialoguer avec d'autres oeuvres («Revers»).

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Avers

La partie la plus visible de Contrepoints, que nous nommons «Avers», est composée de 7 canaux sur lesquels sont déployés 144 triptyques. Chacun de ces triptyques est composé d'une image, d'un texte, et d'une vidéo. Les images proviennent de détails ultra-haute résolution de la tenture de l’Apocalypse d'Angers rendus abstraits par l’effet de zoom extrême. Des algorithmes sont ensuite mis en oeuvre pour composer des textes descriptifs pour ces images. Enfin, des partitions chorégraphiques sont conçues à partir de ces textes et filmées au plus près de la peau. Les triptyques image-texte-mouvement ainsi réalisés sont diffusés, selon un protocole aléatoire, sur les 7 canaux de l'oeuvre en ligne, ou sur les 7 écrans de l'installation.

Revers

Comme le revers d'une tapisserie, Contrepoints est doté d'une face plus cachée, qui prend la forme d'une exploration d'autres travaux mettant en jeu les algorithmes et la danse. En collaboration avec Olivier Zeitoun, et à la suite d'un travail de recherche, une trentaine d'oeuvres ont été choisies et sont présentées dans une timeline augmentée de courts textes descriptifs et d'un essai donnant une perspective historique sur ces oeuvres, ouvrant ainsi un dialogue avec Contrepoints.

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Intentions

Les outils algorithmiques contemporains disponibles pour déchiffrer des données et prédire les états futurs de divers systèmes sont très souvent développés afin d’établir une influence sur nos comportements. Par le biais d’interfaces addictives, et en renforçant nos préférences les moins créatives, notre attention est ainsi vendue à des annonceurs ou des lobbys. Nous rêvons ici de prendre le contrepoint de cette logique : utiliser l’intelligence artificielle pour créer de l’espace, des écarts, danser des hallucinations, architecturer des chimères, écrire des invitations émancipatrices pour conjurer la dystopie qui nous menace.

L’Apocalypse

Contrepoints dialogue avec la tenture de l’Apocalypse du château d’Angers. Commandée au XIVe siècle par Louis Ier d’Anjou au lissier Nicolas Bataille et réalisée d’après les cartons du peintre Hennequin de Bruges, cette tapisserie illustre le texte de l’Apocalypse de Jean sur une longueur d’environ 140 mètres et une hauteur de 6 mètres (seule une centaine de mètres subsiste). C’est pour nous une immense matrice codée à déchiffrer, une graine générative, où toutes les images et tous les chiffres fonctionnent comme des symboles, et qui superpose en permanence plusieurs niveaux de référence et d’interprétation : le texte biblique, mais aussi la guerre de Cent Ans et la peste noire, contemporaines de sa fabrication.

L’histoire extraordinaire de la tenture, passée de mode et utilisée quelques siècles plus tard parfois comme bâche de protection pour des orangers, voire comme garniture d’écurie, invite aussi à méditer sur la relativité de nos échelles de valeurs, et à mettre au jour l’arbitraire de son ordonnancement. La révélation, le dévoilement d’un monde nouveau, c’est d’ailleurs le sens premier du mot apocalypse en grec, et quoique diverses catastrophes nous menacent, nous mettons dans ce sens perdu l’espoir de Contrepoints.

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Une fabrique d’utopie

Les questions qui traversent en permanence notre travail scénique et performatif — qu’est- ce que je vois? qu’est-ce qui est du signal? du bruit? qu’est-ce qui est spectaculaire? quelle hiérarchie structure ma perception du mouvement, du langage? etc. — résonnent particulièrement avec l'histoire mouvementée de la tenture.

Nous travaillons ici dans une direction apparemment paradoxale : nous utilisons des algorithmes d’intelligence artificielle pour générer automatiquement du texte et du mouvement, afin justement d’échapper à nos propres automatismes. L’horizon dystopique que nous évoquions plus haut n’existe que parce que nous assignons aux algorithmes une sinistre mission de contrôle de nos désirs. Mais ces outils peuvent devenir de puissants outils d’exploration et de jeu si la perspective est différente, comme ici, par exemple, de greffer de nouvelles strates sur une fiction immémorielle comme l'Apocalypse, et de créer des formes génératives comme autant d’utopies textuelles et chorégraphiques.

Ordinateurs et métiers à tisser

Le cœur de notre projet est d’utiliser des algorithmes d’intelligence artificielle pour générer du texte et du mouvement à partir de graines extraites des images de l’Apocalypse. Comme nous le disions plus haut, par un zoom très appuyé sur des images ultra haute résolution (dites «gigapixel») de l’Apocalypse, on déconstruit l’échelle figurative familière de la tapisserie et l’on fait apparaître des paysages abstraits merveilleux et difficiles à percevoir in situ à cause des conditions d’éclairage de l’oeuvre et de la distance la séparant des spectateurs, en particulier concernant le registre haut. Mais à ce niveau de détail extrême, un autre phénomène a lieu que nous pourrions qualifier de pixélisation de l’image tandis que la trame du textile, pourtant très fine, se révèle pleinement à l’œil. Dans ce mouvement se rejoue instantanément l’histoire de la programmation informatique et des ordinateurs, dont les pionniers Ada Lovelace et Charles Babbage écrivirent les premiers chapitres au XIXe siècle en s’inspirant des cartes perforées des métiers à tisser de Jacquard.

Le septénaire

À tout instant, le serveur en ligne hébergeant Contrepoints diffuse sur 7 canaux un choix de 7 triptyques parmi les 144 possibles, septénaire faisant écho aux nombreux septénaires de l’Apocalypse (églises, sceaux, trompettes, coupes). À chaque minute un nouveau tirage est effectué et distribue de nouveaux triptyques sur les 7 canaux. Ces triptyques peuvent être déployés dans une installation physique consistant en 7 tablettes dotées d’écrans tactiles. Chaque écran peut alors afficher pour son triptyque soit la modalité image-détail, soit la modalité texte, ou soit la modalité mouvement (vidéo).

Ces 144 triptyques sont organisés en 12 groupes – ou tribus pour le dire à la manière apocalyptique – de 12 triptyques, chaque tribu correspondant soit à une scène sur fond rouge ou à une scène sur fond bleu. Ces tribus bleues et rouges apparaissant à chaque nouvelle minute de manière alternée. À mesure que le temps s’écoule, et en fonction des tirages aléatoires et des interactions des spectatrices et des spectateurs, 2 milliards et demi de milliards de configurations possibles peuvent apparaître pour le septénaire d’écrans.

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Activation performative

L’installation physique de Contrepoints peut être activée par une performance mettant en jeu la matière des triptyques, et en particulier le texte et les partitions chorégraphiques. Il y a en effet un parallèle entre le mouvement de révélation et de zoom à l’oeuvre dans Contrepoints et tout le travail performatif de la compagnie Le principe d'incertitude, qui cherche à donner accès, par dissection et rapprochement de l’oeil, à des manifestations insoupçonnées du corps et de son mouvement.

« Related works »

La mise en perspective d’un travail particulier avec des travaux connexes existants ne fait pas partie de la production typique des artistes à l’intérieur de leurs œuvres. C’est en revanche une exigence de la méthode scientifique, qui pour toute nouvelle contribution requiert une revue circonstanciée de la littérature («related works» en anglais) afin de s’assurer de l’originalité et de la pertinence de la démarche. Avec Contrepoints nous voulons jouer avec cette idée d’adjoindre à l’œuvre que nous produisons un appareil critique et historique sous la forme d’un envers numérique hébergé sur la même plateforme. Nous croyons que cet effort de partage en accès ouvert de certains enjeux d’une œuvre au creux même de sa création est à même d’ouvrir de nouvelles conversations, particulièrement pour un médium éphémère comme la danse, et c'est donc la raison d'être de la partie «Revers» de Contrepoints.

Crédits

Production : Le principe d’incertitude
Concept : Pierre Godard, Mélanie Rattier, Liz Santoro
Recherche et textes : Olivier Zeitoun
Accompagnement « Mondes nouveaux » : Théo Diers et Isis Jourda
Développement du support informatique : Gabriel Stik
Stagiaire : Blanche Giraudon
Recherches complémentaires : Iris Cartron
Crédit des images de la tapisserie : Google Art Project
Crédits illustrations : Valentin Guerchet, Le principe d'incertitude
Soutiens : CN D Centre national de la danse, la Briqueterie - CDCN du Val-de-Marne, Collectif pour la Culture en Essonne, CNSMDP, Cndc

Oeuvre financée par le programme de soutien à la création artistique Mondes nouveaux mis en oeuvre par le ministère de la Culture dans le cadre de France Relance, avec le Centre des monuments nationaux.

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